Carte Blanche : Don de sang par les homosexuels et les personnes trans* et inter*

Don de sang par les homosexuels et les personnes trans* et inter* : contre une réforme à mi-chemin

Un vote est annoncé jeudi visant à “limiter” la discrimination faite aux hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes (HSH) en réduisant la période d’abstinence avant le don de sang de 12 à 4 mois.  

Les signataires de cette carte blanche souhaitent marquer leur désaccord sur la stratégie choisie : bien que celle-ci puisse apparaître comme une stratégie "par étapes” censée aboutir dans “quelques années” à la fin totale de cette discrimination, nous sommes d’avis qu'il faut dès à présent aligner les périodes d’abstinence entre donneurs hétérosexuels et homosexuels en fonction de leurs comportements sexuels à risque individuels et réviser le questionnaire préalable au don du sang pour ne plus discriminer ni exclure les donneurs sur base de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leurs caractères sexuels.   

Certains pays comme la France, le Royaume-Uni, le Portugal et le Canada ont récemment adapté leur législation sur le don de sang. La Belgique, comme ce fut toujours le cas en matière de droits des personnes LGBTQIA+, doit assurer un rôle de pionnière, au niveau international, afin de permettre le don de sang dans le respect des droits fondamentaux, notamment des personnes homosexuelles, transgenres et intersexes !   

Deux arguments sont régulièrement opposés à un traitement indifférencié des HSH pour le don de leur sang : le principe de précaution lié à une plus forte prévalence du VIH chez les HSH et la difficulté que supposerait une auto-évaluation des risques par les donneurs de sang.  

L’avis publié par le Conseil Supérieur de la Santé le 3 novembre 2021 cite à plusieurs reprises divers pays ayant mis fin à cette différenciation entre hétérosexuels et homosexuels depuis plus de 7 ans, sans mettre en danger l'état de santé des personnes transfusées, tout en accroissant le volume de sang donné.  

On y lit, entre autres, qu’“alors que l’incidence globale du VIH est beaucoup plus élevée qu’en Belgique (y compris chez les hétérosexuels), l’Afrique du Sud a supprimé le critère d’inéligibilité des HSH en 2014 (CSS, 2016). Pour remédier aux effets négatifs possibles de cette décision, l’Afrique du Sud a été le premier pays au monde à mettre en œuvre l’ID-NAT VIH(1) à l'échelle nationale. Le bilan de ce changement est maintenant disponible (Vermeulen et al., 2019) et les résultats sont remarquables : le risque résiduel global estimé de transmission du VIH a diminué, passant de 24 par million de dons à 13,4 par million. Ceci signifie qu’alors même qu’une population de donneurs à haut risque a été acceptée, l’augmentation du risque a été plus que compensée par la mise en œuvre de l'ID-NAT".    

Idem pour l'Argentine où le Conseil Supérieur de la Santé note qu’"il s'est avéré que la levée du critère d’inéligibilité des HSH a permis de maintenir la sécurité du sang sans qu'aucun changement significatif n'ait été observé en ce qui concerne le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles (VHB, VHC et syphilis)".  

Et le Conseil Supérieur de la Santé de conclure qu’"il ne semble plus légitime de justifier un ajournement temporaire spécial pour les donneurs ayant des rapports sexuels entre hommes".   

Deuxième argument lié, cette fois, au questionnaire pré-don : les donneurs ne sont pas en capacité de mesurer les risques réels liés à leurs comportements. Poser les mêmes questions aux donneurs hétérosexuels qu’aux donneurs homosexuels, les incommoderait au point de renoncer au don.   

Le don du sang suppose effectivement une sélection a priori des donneurs afin d’apprécier le risque lié au don. Cette sélection se réalise actuellement en Belgique via un questionnaire pré-don opérant une sélection basée sur le sexe du partenaire du donneur et non sur son comportement sexuel. Cela signifie que le seul fait d’être homosexuel interdit de facto de donner son sang quand des personnes hétérosexuelles, y compris celles ayant de multiples partenaires et des pratiques à risques peuvent le faire : un a priori clairement discriminatoire.   

L’enjeu est donc de cesser de considérer l’orientation sexuelle des donneurs mais bien de s’intéresser à leurs pratiques car seules ces dernières permettent réellement d’apprécier le risque lié au don de sang.   

Comment alors réaliser un questionnaire non discriminant portant sur des comportements sexuels précis ? Une série de questions qui sont à la fois acceptables pour les donneurs, ne les rebutent pas et permettent d’identifier un risque d’infection subjectif (leur perception du risque couru) et objectif (la réalité du risque) plus important?   

Menée dès 2020 au Royaume Uni, l’étude FAIR(2) a enquêté sur l’implication d’un passage à des règles basées sur l’évaluation individuelle du comportement sexuel. Elle a, pour ce faire, comparé une combinaison de données épidémiologiques et comportementales. Quand les épidémiologistes ont examiné le risque objectif d'infection pour différents comportements sexuels, les spécialistes du comportement se sont concentrés sur le risque perçu vis-à-vis de différentes pratiques et la fréquence de celles-ci. Ils ont aussi évalué dans quelle mesure les personnes pourraient trouver acceptable de répondre à des questions précises sur leur comportement sexuel. Ce sont les conclusions positives de ce travail, commandité par les quatre services de transfusion sanguine du pays, qui ont préfiguré, au Royaume Uni, le passage, en 2021, à un questionnaire non discriminant tout en assurant un réel filtre des donneurs de sang, basé sur les risques qu’ils prennent réellement et non sur un risque supposé lié à leur seule identité.  

En outre, le questionnaire pré-don comporte une question “Votre sexe actuel correspond-il à votre sexe enregistré à la naissance ?”. Cette question constitue un traitement irrespectueux, arbitraire, discriminatoire, excluant vis-à-vis de l’identité de genre et des caractéristiques sexuelles des personnes intersexes ainsi que les personnes transgenres. Elle alimente la confusion entre sexe et genre (3) entraînant des procédures de normalisation néfastes et préjudiciables, particulièrement pour les personnes intersexes mais également pour les personnes transgenres. Les personnes possédant une variation au niveau du sexe phénotypique, chromosomique ou gonadique sont dites ‘intersexes’. Ces variations naturelles du développement sexuel sont diverses et variées, et dans l’immense majorité des cas, ne mettent pas en cause la bonne santé des personnes intersexes.  

En 2019, la Belgique a été condamnée deux fois par les Nations unies, lui intimant de mettre fin à des pratiques normalisantes et discriminatoires envers les personnes intersexes (4). D’autre part dans un arrêt, la cour constitutionnelle a reconnu que les personnes transgenres et les personnes non-binaires ont le droit à l'autodétermination concernant leur identité de genre légitime. Celle-ci invite la Belgique à mettre fin aux discriminations et à réaliser la pleine égalité entre les différents genres (cisgenres, transgenres, non binaires,..) et les différents sexes (dyadiques et intersexes) (5).  

Les expériences étrangères le démontrent : mettre fin au traitement différencié fait aux personnes HSH, trans et inter, lors du don de leur sang ne suppose pas un risque accru pour les transfusé.e.s une fois les aménagements techniques réalisés. C’est aussi la fin d’une injustice. A l’évidence, donner son sang n’est pas un droit. Aller au cinéma non plus mais empêcher à des personnes de le faire sur la base d’une de leurs caractéristiques est bel et bien une discrimination (6). C’est indiscutable. Y mettre fin permettra de recruter de nouveaux donneurs et de faire face aux difficultés actuelles de notre système, à l’heure où la Croix-Rouge de Belgique connaît une baisse inquiétante du nombre de dons de sang. La Belgique doit adapter la loi du 5 juillet 1994 relative au sang et aux dérivés du sang d'origine humaine pour qu’elle respecte les droits fondamentaux des personnes LGBTQA+.  

Aide Info Sida
Cercle LGBTQIA+ de l’ULB
Espace P
Fédération Laïque de Centres de Planning Familial (FLCPF)
Femmes et Santé
Genres Pluriels
Love Health Center
O'YES
Plateforme Prévention Sida
RainbowFriends
Réseau Hépatite C Bruxelles
SES Service Education pour la Santé
Sida-IST Charleroi-Mons
Sidasol
UTOPIA_BXL
Visites Particulieres ASBL


 Notes :

1 - Le test d'acide nucléique - NAT est une technique moléculaire de dépistage des dons de sang afin de réduire le risque d'infections transmissibles par transfusion (ITT) chez les receveurs, offrant ainsi une couche supplémentaire de sécurité du sang. 
2 - FAIR: For the Assesment of Individual Risk - pour l’évaluation du risque individuel, un groupe de travail et une étude réalisés par UKFORUM qui regroupe les 4 services de transfusion présents au Royaume Uni.

3 - Les personnes possédant une variation au niveau du sexe phénotypique, chromosomique ou gonadique sont dites ‘intersexes’. Ces variations peuvent être observables dès la naissance (structures chromosomique et hormonale, organes génitaux internes et externes), ou devenir apparentes plus tard au cours de la vie (pilosité, masse musculaire, poitrine, stature, pomme d’adam, menstruations, etc.). Ces variations biologiques sont diverses et variées, et dans l’immense majorité des cas, elles ne mettent pas en cause la bonne santé des personnes intersexes. Elles constituent des variations naturelles du développement sexuel. Pour autant, les caractéristiques sexuelles des personnes intersexes ne correspondent pas aux normes sociétales, essentiellement binaires, qui régissent l’assignation d’une identité masculine ou féminine à la naissance. Les personnes qui ont des caractéristiques dans la norme binaire sont appelées des personnes dyadiques. Toute personne possède des caractéristiques sexuelles (mâles, femelles, intersexes). Tandis que les personnes transgenres sont des personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au genre enregistré à la naissance. Les personnes avec une identité de genre dans la norme, c’est-à-dire correspondant au genre assigné à la naissance, sont appelées des personnes cisgenres. Toute personne s’identifie à un genre autodéterminé, qu’elle soit cisgenre ou transgenre ou encore non-binaire. Les personnes intersexes peuvent s’identifier comme femmes, comme hommes, ou comme non-binaires; elles peuvent être cisgenres ou transgenres. Les identités de genre des personnes intersexuées sont plurielles. Les orientations sexuelles des personnes intersexuées sont tout aussi variées que chez les personnes dyadiques.

4 - Condamnations des Nations unies
CRC80 > Mutilations Génitales Intersexes : L’ONU réprimande la Belgique et l’Italie CRC127 > Mutilations génitales intersexes : l’ONU réprimande la Belgique et le Mexique 

5 - Arrêt de la cour constitutionnelle : Arrêt 99/2019 du 19 juin 2019

6 - LOI du 4 février 2020 : MODIFICATION DE LA LOI du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes : est inclus dorénavant le critère des caractéristiques sexuelles. 2° dans le paragraphe 3, les mots « l’identité de genre ou l’expression de genre » sont remplacés par les mots « l’identité de genre, l’expression de genre ou des caractéristiques sexuelles »


Revue de presse

Lire aussi