TOUS DIFFÉRENTS, TOUS BEAUX!

David, Kristian, Hassen... Ils se livrent dans une expo photo qui célèbre la beauté et la diversité des hommes homo- et bi-sexuels, séropositifs ou négatifs, et les 25 ans d'Exaequo!

25 ans d'existence, de lutte(s) - contre le VIH, la sérophobie, l'homophobie -, 25 ans d'actions et de présence sur le terrain pour améliorer le bien-être et la santé (sexuelle) des hommes qui aiment d'autres hommes.

Exaequo célèbre ses 25 ans, l'occasion de mettre en avant les différences et la beauté de ces hommes.

Ils sont 15. 15 portraits d'hommes bi- et homo-sexuels, séropositifs, séronégatifs, vivant aujourd'hui en Belgique, qui se racontent et se mettent à nu, permettant de mettre en lumière la diversité des parcours, des ressentis, de vécus de cette communauté et de combattre les idées reçues !

Chaque photographie est réalisée par Chris Chi (Tale of Men) et est accompagnée d’un témoignage rédigé par le modèle.

À lire, le cœur et l’esprit ouverts!

Si vous êtes intéressé.e.s. d'exposer ces photos et témoignages dans vos locaux (centre culturel, association,...), contactez-nous sur info@exaequo.be ou au 02 736 28 61.

Arno

Il y a quelques années, j'ai découvert Ex Aequo lors d'un événement «Let's Talk» sur le statut indétectable. J'avais été invité par un ami et je ne pouvais pas rester silencieux parce que j'en avais marre de la négativité de tout le monde. Après l'événement, Ex Aequo m'a demandé de faire du bénévolat et de diffuser mon message. J'étais heureux de me joindre aux autres volontaires!

Depuis lors, je parle de mon expérience et de ce que peut être la vie quand vous êtes séropositif. J'ai presque 30 ans et j’ai fait mon coming out très ouvertement à 14 ans. Je suis reconnaissant auprès de mes parents et de ma famille en général, car ils ont toujours montré qu'ils acceptaient qui je suis et ont rendu mon coming out aussi facile et naturel que si je parlais d'une chose très banale. Bien sûr, tout n'était pas si facile, surtout à l'école, mais pas vraiment à cause de l'homophobie, mais parce que mon meilleur ami, pour qui j’avais le béguin, m'avait dit qu'il espérait que je n'avais aucun sentiment pour lui qui était hétéro. Mis à part cet événement «tragique», je n'ai jamais vraiment vécu d'actes homophobes ni d'agressions sexuelles, à l'exception peut-être des insultes aléatoires bien trop ordinaires dans les rues.

À 19 ans, j'ai été détecté séropositif lors d'un test sanguin de routine. Je l'ai gardé pour moi au début, car je voulais rassembler le plus d'informations possible afin de pouvoir en expliquer tous les aspects à ma famille. Ils ont très bien géré la situation et me soutiennent depuis. J'ai rencontré mon petit ami peu de temps après cela - et je suis fier d'annoncer que nous allons célébrer notre 10e anniversaire cet été!

À l'époque, quand nous nous sommes rencontrés, il avait peur. L'information qu'il a trouvée l'a aidé à gérer cette situation et à comprendre quels étaient les risques. Cependant, en ce qui concerne le sexe, les préservatifs étaient obligatoires, bien entendu, et il semblait que ce serait le cas pour toute notre vie sexuelle. Heureusement, le «statut indétectable» a tout changé il y a quelques années: nous avions maintenant la preuve que nous pouvions avoir une vie sexuelle florissante, sans préservatif, sans risque de contamination. C'était une grosse affaire !

Grâce à Ex Aequo, je peux aider ma communauté à travers différents projets. Le projet «TTBM», qui donne des recommandations sur les médecins homosexuels/séropositifs et organise également des ateliers avec des professionnels de la santé (médecins, infirmières, etc.) dans le but de les aider à comprendre comment ils peuvent accueillir les personnes LGBTQI + et leurs besoins. Je fais également partie du projet Tea +, un groupe de personnes séropositives qui organise des événements, ainsi que du parrainage de personnes séropositives qui ont besoin d’écoute, de soutien et d’exemples de la façon dont la vie continue malgré la contamination.

En bref, je pense avoir une belle vie, un bon travail, de nombreux projets et une excellente santé, et je veux que les gens sachent que c'est aussi une réalité. Je sais que certains homosexuels ont des problèmes de sexualité, certains sont rejetés, certains ont des problèmes de drogue ou sont déprimés, d'autres ont un problème de VIH. Mais la vie concerne aussi tout le reste et je ne connais pas une seule personne sur terre qui ne se débat pas avec des problèmes de quelque sorte que ce soit. Je pense qu'il est important de montrer aux gens que la vie peut être assez agréable quand on est gay et positif en 2019.

Cédric

Je souhaite à travers cet écrit, vous faire part de l’une des plus belles expériences de ma vie. Elle a changé beaucoup de choses en moi.

Nous sommes en 2007, début février. Je termine le tournage d’un film en France, je reviens à Bruxelles et une boîte de production de films m’appelle. Elle me propose de rejoindre un tournage au Libéria en tant que directeur financier d’un film. Après une longue réflexion et avec l’avis de mes parents, de mes amis et de mon copain (avec qui je suis depuis quelques mois), j’accepte le défi. L’aventure au Libéria débute fin février dans un pays que je ne connaissais absolument pas en ce compris l’histoire des enfants soldats, sujet du film en question. Émotionnellement, c’était une période assez riche. D’autant plus, que je venais de faire mon coming out auprès de mon cercle d’amis.

Le pays sort de guerre, la capitale est dévastée mais je découvre une équipe qui a déjà commencé le tournage et s’est plus ou moins habituée aux conditions. Tous vont me soutenir en me donnant des conseils précieux durant tout le tournage. Je fais aussi la rencontre des enfants soldats qui tournent dans le film et qui ont vraiment été enrôlés comme tels dans le pays. Ils me parlent de leurs vécus et du mal qu’ils ont pu faire à certaines personnes. Certains regrettent, d’autres n’ont pas encore fait le deuil de leur passé.

Tous les jours, je pense à mes parents, à mes amis et surtout à mon mec resté sur place à Bruxelles. Je les appelle de temps en temps pour leur donner de mes nouvelles et en prendre aussi d’eux.

Je ressens en moi un changement dans ma manière de gérer mes émotions et mes sentiments. Il devient de plus en plus compliqué de vivre à autant de kilomètres de l’homme que j’aime. Je pense tous les jours à rentrer pour le rejoindre. Il le comprend, mais pour lui c’est tout aussi difficile. N’étant pas sur place, il ne comprend pas vraiment ce qui se passe pour moi.

Quelques jours après, ayant bien réfléchi, il m’annonce qu’il aimerait que notre relation s’arrête pour le bien de chacun et ne pas se faire du mal l’un à l’autre. Je comprends sa décision mais elle fait mal. Mes collègues qui savent pour moi me soutiennent. Notamment un homme libérien plus ou moins de mon âge que j’avais d’ailleurs remarqué depuis son arrivée dans l’équipe, après moi, en tant qu’assistant costume. Il montait souvent dans les bureaux en fin de journée et son regard se posait souvent sur moi. Lui doit se cacher auprès de l’équipe qui est en grande partie libérienne: il ne peut pas assumer sa sexualité comme il le veut par peur des représailles, des agressions verbales mais aussi physiques. Je crois avoir été l’un des premiers garçons dont il avait compris qu’il était comme lui. Notre rencontre l’a peut-être un peu aidé à « accepter » qui il était.

En repensant à lui, je me dis que j’aurais dû avoir le courage d’aller vers lui. Le courage de lui parler de mon vécu. Lui dire comment on peut vivre notre sexualité d’une manière positive sans avoir tout le temps ce regard malsain de personnes qui ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre notre mode de vie et notre sexualité.

Quelques années plus tard, j’ai commencé à me battre pour ouvrir les mentalités des gens en représentant la Belgique à des concours internationaux. Là, j’ai pu discuter de manière ouverte avec des personnes qui vivaient dans des pays où il est encore difficile d’être juste soi-même.

J’ai voulu partager cette expérience pour rappeler que malgré les agressions homophobes, sérophobes et transphobes que nous subissons toujours, nous vivons dans un pays tolérant.

Il faut soutenir les personnes réfugiées qui arrivent dans notre pays avec leurs propres histoires. Elles viennent aussi pour les partager avec nous et se battent elles aussi contre ce racisme encore trop présent. C’est ce mélange de cultures qui rend notre communauté belle et tellement différente. Soyons fiers de qui nous sommes. C’est le slogan que j’utilise dans les concours BE.PROUD. Pour Belges et fiers.

Le combat est encore long mais il en vaut tellement la peine.

Davide

J'avais 12 ans quand j'ai vu un programme à la télévision qui parlait de danse. Je me souviens avoir été complètement captivé durant tout le programme. A 15 ans en allant au théâtre voir un opéra avec mes parents, j'étais très excité jusqu'au moment où la lumière s'est éteinte et que le spectacle a commencé. Là, je me suis retrouvé figé dans mon fauteuil, je ne pouvais plus bouger. Tout était parfait, la lumière, le son, les costumes, les danseurs, les mouvements. À la fin du spectacle, je me suis dit : « peut-être que je devrais essayer ». Je l'ai fait, mais seulement 4 ans plus tard, après avoir quitté le lycée, parce que je ne voulais pas que quelqu'un le sache et être exposé. Avec les enfants, être différent peut être un problème surtout s'il y a un lien avec votre sexualité.

À 19 ans, j’ai terminé le lycée et ai commencé à me sentir plus à l'aise avec le fait que j'étais gay mais il m’était toujours difficile de le dire aux gens. Je suis entré dans un studio de danse et tout a commencé. Je suis parti du bas de l’échelle: c’était tellement amusant de faire des cours avec de petites ballerines. J'avais un professeur qui croyait en moi et qui me poussait, peu importe mon âge. Elle me rappelait toujours « tu peux le faire, vas-y un peu plus, mais pas trop ».

Quand je dansais et que je faisais de l’exercice, mon professeur me faisait toujours les mêmes remarques. Elle me regardait danser, pensait toujours que je ne me donnais pas à fond, mais elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi. Au fond de moi, je savais ce que c'était. C'était le vrai moi que je réprimais. Je me retenais parce que j'avais peur d'être libre et de montrer mon homosexualité.

Un jour, pendant un cours privé, elle m'a demandé si je devais lui dire quelque chose. J'ai commencé à paniquer, puis j'ai vu dans son visage le calme: elle me montrait qu'elle le savait déjà. Elle voulait juste que je l'exprime. Alors je le lui ai dit... Elle a répondu "tu penses vraiment que c'était un problème pour moi ?" me souriant en retour: "La prochaine fois tu me montreras ce que je veux vraiment voir quand tu danses ?". Et la fois d’après, j'ai fait ce qu'elle m'a demandé, j'ai compris ce que je devais pousser plus loin. Il ne fallait même pas pousser mais juste arrêter de me retenir. Tout a été d’un seul coup beaucoup plus facile. J'ai compris. C’était évident même pour les autres. Ce moment m'a permis, lentement, de m’ouvrir. La danse m'a aidé dans mon coming out.

Parfois, vous devez être au bon endroit au bon moment et de petites choses peuvent changer votre vie. La veille, je me débattais pour commencer ma carrière de danseur, puis vous rencontrez soudainement une personne qui croit en vous et tout s'ouvre. Maintenant, je travaille comme danseur professionnel depuis de nombreuses années. Donc, si vous voulez quelque chose, allez-y.

Hassen

En septembre 2018, j'ai dû fuir mon pays, la Tunisie, pour me réfugier. J'ai été violé, agressé, je n'avais pas le droit de porter plainte ou d'avoir la protection des autorités et j'étais sur le point de me faire arrêter pour homosexualité. Ce pays qui a connu la fameuse Révolution du Jasmin, qui a obtenu le prix de Nobel de la Paix, porte encore atteinte aux droits et aux libertés individuelles. L'homosexualité en Tunisie est punie d’une peine d'emprisonnement allant jusqu'à 3 ans de prison ferme. Irruption par la police dans les domiciles, confiscation de téléphones portables, examens anaux forcés suivis d'arrestations. L'homosexualité est toujours interdite par l'article 230 du code pénal et d'autres articles instrumentalisés à cette fin, mais aussi par une société dont la répression est tristement plus importante que celle du gouvernement. On est réprimés et condamnés pour nos identités sexuelles et nos identités de genre. On souffre d'un rejet social violent et de l'hostilité ambiante à cause d'une législation elle-même hostile. Notre vie communautaire est limitée à de la protection contre les persécutions légales. On risque d'être incarcérés pour homosexualité, victimes de traitements infligés en détention et d'extorsion d'aveux ou d'être même condamnés à mort par des membres de nos familles ou des islamistes.

Toute personne qui croit encore que l'homosexualité est une maladie doit savoir que c'est l'oppression, la pénalisation et l'emprisonnement des homosexuels qui relèvent de la maladie. L'homosexualité n'est pas un choix, c'est en soi ! On ne demande qu'à vivre dignement et en liberté.

Notre situation s'est dégradée depuis le Printemps arabe après une visibilité médiatique qui a engendré davantage de répression. Le nombre d'homosexuels condamnés par la justice tunisienne est en augmentation ainsi que le nombre de cas de violences, d'agressions et de meurtres homophobes. Les procureurs tunisiens se sont appuyés sur des examens anaux forcés pour rechercher des preuves de sodomie, même si de tels examens sont extrêmement peu fiables et constituent un traitement cruel, dégradant et inhumain pouvant relever de la torture. En conclusion, l'homosexualité aujourd'hui en Tunisie est dans un véritable étau: entre une forte pénalisation et une homophobie exacerbée de la société et de l'État.

Je me suis enfui en laissant tout derrière moi: ma famille, les amis, mes études, mon passé douloureux et mes 23 ans de tourment psychologique, d'emprisonnement social, de violences verbales en milieux scolaire et universitaire, d'agressions physiques et sexuelles et de désintégration familiale. J'ai surmonté tout mon passé avec toutes ses souffrances en espérant avoir une vie digne et décente. La stigmatisation et la discrimination ne se sont pas arrêtées en étant dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile, vivant avec des personnes de différentes nationalités, langues, croyances et préjugés. J'ai entendu des insultes dans toutes les langues et je vis dans la peur et le chagrin.

Attraper le VIH n'est pas la faute de la personne qui l'attrape, c'est la faute d'une société xénophobe, homophobe, biphobe, transphobe, sérophobe…

Deux mois après mon départ et un jour avant la journée mondiale de lutte contre le SIDA, j’ai découvert que j'ai le VIH dans le service médical du centre Fedasil. La manière dont on m’a dévoilé ma séropositivité n'était pas professionnelle, sans encadrement ni pitié. J'ai directement pensé au viol que j'ai subi en août, je me suis souvenu quand je suis tombé gravement malade en septembre avant de voyager. J'étais certain que le virus venait de cet épisode qui m'a traumatisé parce que je n'avais pas eu d'autres rapports sexuels non protégés. J'étais impliqué dans la lutte contre le VIH en Tunisie depuis plus de deux ans comme volontaire dans des associations. J'étais bien éduqué en ce qui concerne les IST car je les avais étudiées durant ma licence en biologie. J'ai commencé le suivi médical, j'ai entamé le traitement régulier et j'ai pu maintenir une charge virale indétectable rapidement. Quand je prends les médicaments ou quand je vois le médecin, je me rappelle de tout ce qui s'est passé avec moi. J'ai pensé au début à mourir ou à me suicider mais j'ai ravalé cette angoisse rapidement.

J'ai commencé à être volontaire chez ExAequo pour continuer le travail associatif que je faisais en Tunisie, non plus comme acteur de prévention et de lutte contre le VIH mais comme une personne vivante avec le VIH et militante pour les droits des personnes LGBTQI+ et celles vivant avec le VIH. Le travail associatif m'a beaucoup apporté. Etre actif au sein de ma communauté, être engagé, faire de bonnes connaissances m’a aidé dans le passé. Cela m’aide maintenant à accepter ma séropositivité et à surmonter toutes les pensées négatives.

Actuellement, la découverte scientifique approuvée : indétectable = intransmissible prouve que les personnes séropositives présentant une charge virale indétectable ne transmettent plus le VIH par voie sexuelle. Cette affirmation est corroborée par le fait que ce sont les personnes qui pensent être séronégatives, mais qui sont en réalité séropositives, qui constituent le principal vecteur de diffusion du VIH. Ainsi, deux personnes séro-différentes peuvent adapter leurs pratiques et vivre des relations sécurisées tout en ayant du plaisir. Le VIH est une réalité présente dans le monde entier. Au cours de notre vie, les personnes séropositives seront nos amis, nos amants ou le mec rencontré hier soir. Participons à la lutte contre la sérophobie et à l'établissement d'un environnement harmonieux où il sera facile de parler sans contraintes ni exclusion! Soyons empathiques, respectueux, pensons à la porté de nos actes et de nos mots! Vivre avec le VIH n'est pas toujours facile. La sérophobie contribue à l'isolement des personnes séropositives et à la ségrégation dans notre communauté.

Je sais que dévoiler mon homosexualité et mon statut sérologique peut avoir des conséquences lourdes mais je souhaite que mon témoignage puisse changer quelque chose, servir à la prévention et ouvrir les yeux des gens, surtout des jeunes qui sont inconscients. Nous sommes tous séroconcernés!

Malgré tout cela, je vais bien.
Si on a envie de vivre, il faut se battre.

Jean Noël

À 13 ans mon frère m’a avoué qu’il était homosexuel et ma première réaction a été de lui demander si nos parents étaient au courant. Il avait 17 ans et pour lui, l’annoncer à nos parents était impensable. C’était en 1976. Nous étions issus d’une famille catholique, bourgeoise, où la mère au foyer s'occupait de ses 4 enfants, 2 filles, un enfant décédé d’une mort subite et enfin 2 garçons.

J’ai vite dit à mon frère qu’il serait bien qu'il dise à nos parents son orientation sexuelle. Après quelques années de cachotteries, il s’est décidé un soir à leur avouer son homosexualité. Je me souviens de cette soirée comme si c’était hier. Il a tourné autour du pot pendant tout le dîner. Ce n’est qu'à la fin du dîner où j’ai dit « je crois qu'il a quelque chose à vous dire ». Et les choses ont étés dites. Ma mère a voulu se jeter par la fenêtre en poussant de grands cris. Mon père l’a retenue et assez vite a dit «tu es mon fils, nous t’aimons comme tu es », je m’en souviens encore. Je suis parti dans ma chambre assez ébranlé par cette soirée. Peu après ma mère est venue me trouver dans ma chambre et m'a dit « Toi au moins tu ne nous feras pas ça ». Que devais-je dire moi qui avais déjà eu une aventure homosexuelle et de forts doutes sur mon orientation sexuelle? Alors pour ne pas la décevoir, ce soir là j'ai dit « non ne t'inquiète pas » et le piège s'est refermé sur moi.

Ma première aventure homosexuelle avec un ami de mon frère m'avait plu et surtout ouvert de nouvelles portes. Enfin, je sortais de mon cadre bourgeois. Je découvrais un milieu festif, créatif, léger, amusant, heureux… Mon frère et son compagnon recevaient des danseurs, des comédiens, des artistes. C’était juste avant les années sida.

Mais entre temps, je me sentais coincé. Mes quelques relations et expériences hétérosexuelles de ces années-là, s’avouèrent être des échecs. Je ne voulais pas faire de peine à mes parents. Alors après une tentative de suicide, j'ai décidé de partir à Paris pour fuir mes penchants homosexuels. Et là, Ô joie! j’ai rencontré une femme, Christine, plus âgée, avec qui j’ai eu de très satisfaisants rapports sexuels et six mois de relation. Me voilà guéri me disais-je ! Au fond je savais que je me mentais car j'avais toujours dans la tête des envies d’hommes…

Lors d’un week end à bruxelles au “Garage”, célèbre boîte de l’époque, j’ai rencontré un mec, Yves, dont je suis tombé amoureux. J’ai donc rompu avec Christine, qui pour se venger a dit à ma famille que j’étais gay. Voilà donc mon coming out fait. Je me suis caché de toute ma famille pendant deux jours craignant leur réaction. Mes parents avaient peur d’une nouvelle tentative de suicide. Ils m’ont finalement accueilli bras ouverts me disant qu'ils m'aimaient comme j’étais.

Kristian

Je suis né à Varna en Bulgarie, du mauvais côté du rideau de fer… Avant que le communisme ne tombe avec le mur de Berlin, être homosexuel en Bulgarie, c’était le camp de concentration avec presque aucune chance de revenir. Loin d’être un endroit gay friendly... Malgré l’entrée de mon pays dans l’Union européenne en 2007, être gay reste encore dangereux aujourd’hui et il faut être prêt à se défendre physiquement à tout moment. La magie des Balkans, tu parles!

J’ai étudié trois disciplines: l’université technique, l’économie et l’académie navale. Après avoir obtenu un master en navigation de l’académie navale, j'ai travaillé un an en mer sur un navire et cinq ans en tant qu'agent de port. À 29 ans, j'ai déménagé à Sofia où j'ai commencé à travailler et étudier à l'Académie nationale des arts de la scène et du cinéma. J'ai obtenu un Master en management en arts de l'écran. J'ai également travaillé deux ans dans le cinéma à divers postes.

Si je devais me définir avec une phrase, je dirais que…. je suis un jedi sexuellement branché par le côté obscur! Depuis que je suis petit, je suis un véritable cliché gay: danser, chanter, jouer avec des poupées ... vous voyez ce que je veux dire? Cela m’a valu d’être étiqueté très tôt comme “paria qui ne sert à rien”: c’est ma soeur de quatre ans mon aînée qui a ouvert le bal en me traitant de PD pour la première fois. Mes parents étaient des gens très simples. Ma mère, infirmière, était constamment au travail, mon père était marin et n'était jamais à la maison. En bref, à la maison, c’était l’enfer. A l’école, pareil: là, j’étais le gros dont tout le monde se moque. Quand j’ai eu les cheveux longs, cela a été pire: beaucoup d’insultes, de honte… tout cela appartient heureusement au passé mais je suis bien conscient que c’est ce qui a fait ce que je suis aujourd’hui….On porte tous un bagage, moi, je tiens à le porter avec le sourire!

Mon adolescence n’a pas été des plus drôles: ma famille se brise, mon père nous quitte quand j'avais treize ans après avoir battu ma mère plusieurs fois, l'école était un enfer constant, le monde évoluait. J'étais seul à être différent dans une société habituée à “réparer” tout ce qui est différent, car être différent en Bulgarie, cela voulait dire être “cassé”. À 7 ans, je rêvais déjà de partir, loin. Tout m’opprimait mais je crois que c’est précisément ce qui m'a aidé... Comme personne ne se souciait de moi, j'étais libre de faire ce que je voulais, de faire de mauvais choix et prendre toutes les mauvaises décisions possibles et inimaginables. Comme on me considérait bon à rien, je me suis comporté en conséquence, et j’ai décidé de me faire, seul. J'ai commencé à suivre ma curiosité en essayant de m'adapter à l'environnement pour survivre. Ce qui m'a aidé dans ces années-là, ce sont les jeux vidéo, les films et la musique. On peut même dire que la télévision et les films ont pratiquement remplacé toutes les fonctions parentales. Pendant 25 ans, je crois n’avoir jamais quitté la maison sans avoir dans mes poches un baladeur, un lecteur de disque ou un lecteur MP3: du classique au hip hop en passant par le reggae, le jazz ou le blue, j’aime une grande variété de musiques. Queen a été super important puis Nirvana et ensuite le Skate punk. La mort de Kurt Cobain fut un moment douloureux et résonna très fort dans mon monde intérieur.

C’est dans ces années aussi que je pense avoir développé un peu une nature masochiste pour survivre à toute la merde environnante. Être masochiste, autodestructeur, punk rocker qui n'a rien à perdre, c’est une drôle de combinaison. Je pourrais beaucoup parler de suicide mais je préfère me limiter à dire ce qui m’a toujours empêché d’aller aussi loin: “Pourquoi se suicider si on peut faire tout ce dont a peur?”

Je me suis vraiment senti à l’aise dans la sous-culture Skate Punk. Elle me permettait de cacher qui j’étais derrière une image qui était déjà rejetée par la société. C’est une période fun de ma vie même si j’ai eu de la chance d’y survivre. J'ai commencé à boire, à faire des concerts partout en Bulgarie, à faire du patin, du snowboard, du roller. Grâce à l'alcool, j'ai réussi à surmonter la peur de ma sexualité et à 19 ans, j'ai eu mon premier contact sexuel. Je m'en souviens encore comme c'était hier, caché dans l'obscurité de la nuit, derrière un vieil arrêt de bus, près de mon ancienne école.

Mon premier béguin? Sean Connery dans Highlander! J'ai toujours aimé les hommes d'un certain âge. L’intelligence vêtue de maturité, avec un contour poilu, poivre et sel ou blanc. C’est la définition de sexy pour moi! Pendant des années, j'ai dû lutter contre le fait que je suis non seulement gay, mais un gay qui n'aime que les hommes mûrs. Avant l'introduction d'internet en Bulgarie et mes premiers pas adultes, je pensais être le seul à être aussi différent, “cassé”, “irréparable”. Dans toutes les relations que j'ai eues, la différence d'âge avec mes partenaires a toujours été de plus de 30 ans. Pour la première fois de ma vie, la différence d’âge avec mon partenaire est inférieure à 30 ans… elle est de 29 ans!

À 19 ans, j'ai commencé ma vie sexuelle et bien sûr ma première relation ... avec une femme. Je pense que c’était une expérience nécessaire parce que cela m’a permis d’être sûr de qui je suis vraiment. Après 5 ans, alors que tout le monde s'attendait à un mariage, j'ai rompu. Une décision très difficile à prendre. En Bulgarie, c'est ce que 95% des hommes homosexuels recherchent - une femme à marier pour fonder une famille et se cacher derrière... Ce n'était pas facile mais je suis si heureux et fier de ce choix. Ma vie gay a commencé à ce moment-là, à vingt-quatre ans avec le désir de trouver quelqu'un de spécial avec qui je pourrais tout partager. Je suis peut être naïf mais je continue de croire que l'amour est la dernière merveille vivante sur la planète - il peut vous permettre d'atteindre des objectifs inaccessibles et… vous aider à trouver votre propre définition de ce qu’est la misère. J’ai alors eu six relations sérieuses, toutes vraiment passionnelles et sexuellement chargées. C’est dans cette période que je suis passé de soft à très très wild (doux à très très sauvage). La seule chose commune dans les six relations? je n'étais rien d'autre qu'un” sale petit secret”. Au début, cela ne me posait pas de problème, je ne pensais tout simplement pas qu’il pouvait en être autrement mais avec le temps, la situation a commencé à devenir vraiment pesante et impossible à gérer.

Cela m’a conduit à ma prochaine grande décision: quitter mon pays. Bonne ou mauvaise, la Bulgarie a été et reste mon pays d’origine et je l’adore sincèrement. Oui, j’y ai connu de nombreux passages difficiles mais encore une fois… c’est exactement ce qui a fait de moi qui je suis! Ne pas pouvoir être qui je suis et vivre ce que je voulais m’a réellement forcé à partir. Je ne vous dirai pas exactement pourquoi j'ai décidé de venir en Belgique. Tout ce que je peux en dire, c’est que j’aime ce pays! Un pays vraiment incroyable, les hommes sont beaux, les gens, sympathiques et chaleureux. C’est ma vie, et si je l’aime tant, c’est aussi grâce à la Belgique!

Ma vie a complètement changé après mon déménagement ici il y a deux ans. Ce n’était pas facile et ce n’est toujours pas le cas, mais je suis fier de vivre ici. Mon français est assez correct, mon flamand est basique mais s’améliore peu à peu… J'ai tellement appris sur la vie en Europe de l’Ouest, sur la culture et les différences, sur le fait que les gens ne se soucient pas de savoir si tu es homo ou hétéro ... un peu comme dans les films! Si je mentionne à nouveau les films, c’est que le monde que j'y ai vu était le monde pour lequel j’étais fait. Bien que tous mes «amis» et ma famille aient toujours pensé que j’étais fou et que ce monde n'était pas pour moi, que je ne pourrais jamais en faire partie ...

J’ai réussi, je suis bien là et je me sens plus vivant que jamais simplement en étant ce que je suis vraiment. C'est incroyable pour moi, un réel succès! J'ai énormément évolué et, en juin dernier, j'ai dit à ma mère que j'étais gay ... Elle voulait que je retourne en Bulgarie et que je trouve un médecin pour soigner mon homosexualité et surtout que je ne le dise à personne! Je dois beaucoup à mon compagnon qui m'a montré que tout est possible. Récemment, j’ai aussi réussi à mettre mes projets de photographie en mouvement et je développe mes talents... Quel plaisir! Quelle joie!

L’an dernier, spontanément et pour être honnête, sans intention très sérieuse, je suis entré dans le concours de M. Ours Belgique 2019. Contre toute attente, j’ai été sélectionné avec deux autres candidats. Deux jours avant l’élection, j’ai appris sur Facebook que c’était la journée internationale du coming out. Je n’y ai pas pensé deux fois. Si ce n’était pas maintenant, quand le faire? J’ai donc fait mon coming out sur Facebook. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer le sentiment de liberté après de nombreuses années passées dans la misère, la douleur et le mensonge. Pour la première fois, je n'étais rien d'autre que mon vrai moi, à cœur ouvert. Et le plus fou? J'ai gagné. J’ai été élu Mr Bear Belgium pour 2019! Pour la première fois de ma vie ... j'étais un gagnant.

Que fait un gagnant?! Ne me demandez pas, c’est si soudain, et c’est bien la première fois de ma vie que je me sens gagnant... Personnellement, ce que je voudrais faire, c’est donner un bon exemple et essayer de faire tout ce que je peux pour le bien de notre communauté. Je crois qu’en raison des nombreux problèmes que j’ai rencontrés et des situations dans lesquelles je me suis mis, je peux donner un point de vue nouveau et différent à certains problèmes...

Je défends l’égalité... pour moi, le sexe, l’orientation sexuelle, la race, la couleur, la religion, la nationalité, le statut social, tout cela ne m’importe pas si on est une personne honnête, ce qui pour moi veut dire traiter les gens avec respect, être gentil, être attentionné, ouvert aux autres... C’est un très bon point de départ, c’est l’essentiel. Pour moi, il ne s’agit pas de savoir s’il faut être ou ne pas être ouvert d’esprit mais de se demander à quel point on l’est?!

En tant qu'élu pour représenter la Belgique comme Mister Bear Belgium 2019, j’essaie d’être présent sur Internet avec des photos et de participer aux événements internationaux de la communauté Bear. Je suis l’auteur de toutes les photos que je publie. C’est quelque chose que je n’aurais jamais imaginé ... publier des photos de moi-même était difficile au début mais j’aime réellement ça. Tout ça me pousse à rêver “plus grand”, j’ai des projets bien sûr mais j’y travaille pour l’instant dans mon coin. Si vous me rencontrez, n'oubliez pas que j'ai beaucoup changé de vie au cours des dernières années. Je suis novice dans beaucoup de domaines. Le pays, la culture, la communauté, tant de choses sont nouvelles pour moi. Votre gentillesse, votre amitié et votre soutien seront grandement appréciés.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici… félicitations! En guise de conclusion, je dirai simplement que si j’ai réussi à être heureux malgré tous les obstacles, tout le monde le peut! Suivez vos rêves et ne laissez personne vous dire ce que vous pouvez et ne pouvez pas faire!

Ludovic

Aussi loin que mes souvenirs me portent, j’ai toujours eu le sentiment de ne pas être à ma place.

Enfant déjà, c’était déjà bien ancré en moi : dans mes rêves, je prenais souvent un train ou un bateau pour m’en aller… où ? Je n’en sais toujours rien. À l’époque, j’ai vraiment développé une fascination pour les trains : je collectionnais des circuits miniatures et des jouets divers rappelant le monde ferroviaire. Je m’inventais alors des voyages au bout du monde des journées entières. Ce sentiment a probablement été un moteur essentiel dans mes expériences de vie. J’ai grandi en Wallonie, dans un petit village. Je me rappelle bien de ce temps-là, où je me répétais à moi-même « Ce n’est pas pour moi, ce n’est pas assez » ! J’y ai survécu en trouvant une forme de salut dans les études. J’oscillais entre étudier, lire, dessiner, rêvasser… pour atteindre une première étape de mes recherches : celles de qui je suis.

J’étais un étudiant heureux d’apprendre, à l’école comme à l’université. Plus tard, je me suis impliqué dans la recherche médicale pendant plusieurs années. J’ai quitté la Belgique pour la Hongrie et ensuite pour le Canada.

Mon aventure commençait : une page blanche s’offrait à moi. Faire l’expérience d’un autre moi… et quel choc ! Vivre dans une autre langue que le français était un réel défi. Je me souviendrai toujours de mes premières semaines à Toronto : je ne comprenais rien à ce que les gens me disaient. J’étais épuisé chaque fin de journée de me débattre en anglais, de penser en anglais, de vivre en anglais. Vivre et penser dans une autre langue demande un effort considérable de l’esprit. Une anecdote que j’aime souvent raconter est celle-ci : j’évitais toutes les conversations téléphoniques en anglais autant que possible et ce pendant plusieurs mois. J’étais en nage rien qu’à l’idée de me noyer dans une soupe de sons ! j’y suis arrivé, bien sûr et maintenant j’en ris de bon cœur. Lentement, je me suis déconstruis et j’ai apprécié une autre version de moi-même. Je n’étais plus belge, j’avais le sentiment de faire parti d’un plus grand groupe avec une certaine identité européenne. En effet, on m’arrêtait souvent en rue en me demandant « vous devez venir d’Europe, vous ! » ou mes amis et collègues s’amusaient à me dire « tu es si frenchy » ! Je ne vois pas trop où ces personnes voulaient en venir et cela m’étonnait que l’on puisse « sentir » ce quelque chose qui émanait de moi à mon insu. J’ai alors commencé à me confronter à un fait inéluctable : j’avais laissé des bagages derrière moi et ils commençaient à me rattraper.

De retour en Belgique, j’étais perdu : je ne reconnaissais plus rien. Tout me semblait petit et les personnes homogènes. La diversité culturelle de Toronto me manquait.

Ce qui m’a cependant le plus affecté, c’est que le monde avait continué de tourner sans moi. Mes amis étaient devenus parents, avaient acheté une maison, une voiture… il m’a semblé que mes parents avaient pris un coup de vieux et je me sentais loin de tout et de tout le monde. Je n’étais pas à ma place, encore une fois. Mes proches étaient heureux de me voir de retour et je me sentais un peu coupable à la fois de vouloir absolument rentrer à Toronto. J’étais en pièces et ne me reconnaissais plus. La Belgique n’était plus vraiment « mon » pays… quoi qu’il en soit, je me suis dit que c’était une nouvelle page blanche qui s’offrait à moi. J’ai plongé !

J’ai décroché un nouveau boulot et j’ai déménagé à Liège, une région que je ne connaissais pas bien. Une autre « nouvelle » vie pouvait commencer. J’ai retrouvé une place, petit à petit mais elle n’a jamais été celle que je désirais. En me remémorant ces expériences, j’avais jusqu’alors passé ces dernières années à changer d’environnement encore et encore. À cet instant, j’ai découvert une porte cachée pour m’échapper belle : mon « moi » profond.

J’ai embrassé le yoga et la méditation, qui m’ont aidé dans la reconstruction de mon corps et de mon esprit. Je peux difficilement décrire ce que j’ai ressenti alors, mais j’ai ouvert une porte sur un jardin sans limites, et je suis heureux de l’avoir passée.

Depuis lors, mon énergie a coulé d’une source intarissable. Mon regard a changé, sur moi-même et le monde qui m’entoure. J’ai été confronté profondément au fait que je faisais fausse route à cette époque dans les choix que j’avais pris. J’ai violemment rejeté ma situation et j’ai craqué. C’était un douloureux nouveau départ, mais nécessaire. Étrangement, j’attirais beaucoup de monde autour de moi pendant cette période : cette reconstruction intérieure se sentait de loin. Je me rappelle qu’un jour, au travail, un nouveau collègue est arrivé de Tunisie. Ce garçon est littéralement tomber amoureux de moi au premier regard. Je ne pouvais pas le croire ! Nous avons passé de bons moments ensemble et j’ai doucement repris confiance en moi. Fort de ces expériences, j’ai alors décidé de m’investir dans des activités que j’aimais : je me suis inscrit à des cours de japonais !

Mon troisième échappatoire a été un coup de tête : j’ai réservé un voyage au Japon. J’en rêvais depuis mon enfance. J’ai appelé mes amis japonais, tout excité « Hey les amis, je viens au Japon ! Je serais heureux de vous revoir » ! Et ce fut fait. J’avais fait leur connaissance à Toronto et nous avions gardé contact depuis nos retours respectifs dans nos pays natals. Je suis un réel amateur de culture japonaise. En littérature, de Tanizaki à Murakami, textes anciens ou contemporains : de Genjimonogatari à 1Q84, j’ai beaucoup lu. En cinéma, j’adore aussi bien les films des années 60 que les contemporains : Ozu, Kurosawa, Oshima, Kore-eda, Kawase… et Miyazaki évidemment ! J’avais goûté aux saveurs du Japon par ces prismes mais j’en voulais plus : y aller était la seule solution. Ce fut une renaissance totale. Si l’on doit se sentir comme un phénix un jour, ce jour fut le mien quand j’ai mis un pied sur le sol nippon. Je me suis retrouvé : j’aurais dû être là depuis longtemps. J’avais besoin de voir des manières de vivre différentes de celles que je connaissais. L’Asie m’attirait depuis toujours et j’ai commencé par le Japon. J’ai revu mes amis, m’en suis fait de nouveaux. J’ai visité beaucoup d’endroits, dans certains desquels j’étais le seul « occidental ». Les gens étaient alors très curieux, c’était une expérience amusante. Avec un timide « Konnichiwa » ou « on peut vous prendre en photo ? », j’ai pu partager la gentillesse de quelques inconnus. Si l’on peut retenir du Japon son côté loufoque et infatigable, mon premier souvenir restera toujours celui de son extrême douceur. J’ai ressenti une réelle connexion avec cet endroit et les personnes que j’y ai rencontrées. J’espère qu’un jour j’en comprendrai le sens.

Lors de mon premier voyage au Japon, j’ai rencontré l’autre moitié de mon cœur. J’ai dû voyager si loin pour être surpris par cet événement qui a changé ma vie.

C’était à la porte sud de la gare de Shinjuku. J’avais rendez-vous en face d’un fleuriste avec un philippin, pour boire un verre et me faire visiter le coin. Je voulais me faire des amis et comme je voyageais seul, j’étais ouvert et disponible aux surprises du destin. Russell était à Tokyo pour un an dans un programme d’étude. Il m’a reconnu de loin et m’a fait signe. Il m’a largement souri. J’ai souri en retour. Il avait des yeux magnifiques et sa voix était si mélodique… On s’est parlé comme si on se connaissait depuis toujours. Il me rappelait quelqu’un que je ne connaissais pas… Il m’a emmené dans Nichome, le quartier gay de Tokyo. Nous sommes allés prendre quelques bières dans un bar en vogue, Arty Farty, je me rappelle encore où nous étions assis. Les quelques verres et la discussion animée sur le lobbying pharmaceutique étaient les ingrédients nécessaires pour que la magie opère : nous sommes tombés amoureux… et on s’est embrassés toute la nuit !

Je voyageais pour mon plus grand plaisir, et la suite de mon itinéraire était Kyoto. Russell et moi ne pouvions cependant pas supporter d’être séparés. Mais je devais continuer, je prenais un vol depuis Osaka quelques jours plus tard. Un jour après mon arrivée à Kyoto, Russell me fait la surprise de m’y rejoindre ! J’ai terminé mon séjour avec lui. Impossible de se dire adieu mais nous ne pouvions y échapper. Nous nous sommes promis de nous revoir et de se donner une chance malgré tout…

Un cœur philippin et un cœur belge ont finalement réussi à construire quelque chose de fort et de grand, comme je ne l’aurais jamais imaginé. Depuis plus de deux ans, nous voyageons pour nous retrouver et découvrir des endroits que nous voulions voir. À chaque endroit dans lequel je suis avec lui, je me sens chez moi. Russell est venu en Belgique, nous sommes retournés au Japon et aussi en Thaïlande pour saluer des amis. Je m’apprête à partir quelques semaines aux Philippines pour être avec lui. Petit à petit, nous approchons de notre but : fonder un foyer en Belgique et nous aimerions nous marier. Dans la folie administrative que cela implique, nous nous sommes faits une promesse : d’être (enfin) ensemble.

Je me suis perdu, ici et là, et finalement, avec Russell, j’ai trouvé une maison que je peux emmener partout. Les pages qui suivront seront écrites avec lui. Ça commence bientôt… à Bruxelles !

Michael

Ayant grandi dans une ville d’assez grande taille, mais à l’esprit étroit, je ne me suis jamais intégré à la foule. Il y a toujours eu chez moi quelque chose de différent dans ma façon de me comporter et de penser. Je suis un métis de père belge et de mère sino-philippine. En plus de cela, j’étais aussi très efféminé et gay. Cela se voyait déjà très jeune : une raison assez typique et convenue pour me faire harceler. Du fondamental au secondaire, je me suis fait traiter de « Gros, Moche, Gay, Pédé, Tapette, Zarbi ... », pour ne citer que les insultes les plus courantes. Mais à un moment donné, ils ont fait preuve de créativité, avec « Face de riz » et « Drauk » (« dragon » en anglais, c’est-à-dire « moche »). Cela m’a toujours affecté et j’ai toujours détesté être différent. Je ne pouvais pas l’accepter. J’ai essayé de me changer et de ressembler davantage aux autres. Mais si vous regardez de vieilles photos de moi, vous pouvez voir à quel point tout avait l’air forcé et gauche. Je n’étais pas fait pour ces personnes, ni elles pour moi. Je ne me sentais pas à ma place.

J’ai toujours eu des centres d’intérêt artistiques. Et, heureusement, mes parents m’ont permis d’exprimer ces aspirations. J’ai pris des cours de chant, rejoint une chorale, joué du piano et de la guitare, fréquenté des cours d’art et de danse. J’ai toujours rêvé de devenir un artiste de scène dès mon plus jeune âge. Pourtant, mes parents voulaient que mes rêves soient plus réalistes, mais tout de même ambitieux, comme devenir médecin (je sais, c’est un gros cliché de la mentalité asiatique). Parallèlement à toutes les insultes ordinaires que me faisaient subir mes harceleurs, ils m’ont toujours cassé dans mes rêves et mes passions. Ils se moquaient de moi et de mes rêves grandioses et irréalistes. Mais cela ne m’a pas arrêté. Je repense toujours à ma jeunesse en me voyant confronté à trois problèmes: 1. Gros 2. Moche 3. Gay. Trois choses auxquelles il me fallait remédier.

Dieu soit loué pour la puberté parce que j’ai traversé toute une phase pour ressembler à ce que je suis aujourd’hui. Ce n’est pas pour me vanter. Loin de là. Mais je sais vraiment ce qu’être le “Vilain petit canard” veut dire. Cela a donc résolu deux des trois problèmes. Et c’est alors que j’ai réalisé qu’être gay n’était pas un problème. Je croyais vraiment que le fait d’être efféminé était un problème.

Pour moi, le fait d’être gay n’a rien à voir avec le fait d’être efféminé. Être féminin ne vous rend pas gay, tout comme être gay ne vous rend pas féminin. Mais vous pouvez être les deux. Je suis gay et j’ai un côté efféminé. Mais, pour moi, ces caractéristiques ne sont pas liées. J’ai pourtant mis bien plus longtemps pour accepter mon côté efféminé que mon orientation gay. Mais… Comment définir le féminin ou le masculin ? Ce ne sont que des normes que la société nous impose pour opérer une distinction. Pour moi, on ne doit pas les distinguer. J’ai les deux aspects en moi. Tout le monde les a.

Je déteste les préjugés sur le genre. Je vis comme je veux, comme je l’entends. Féminin ou masculin, peu importe. Surtout dans la mode. Je porte du vernis à ongles et des colliers parfois. Pourquoi ? Parce que je trouve que ça me va bien, à moi et aux garçons en général. J’achète 40% de mes vêtements au rayon « filles ». Qui a décidé qu’un pull avec un joli logo ou un beau motif était « uniquement pour les filles »? Même au niveau artistique, je suis un danseur spécialisé dans les talons hauts, le Girly, le Vogue et le Waacking. Des styles de danse considérés comme plus féminins. Qui a dit que les garçons ne pouvaient pas faire ça ? Je pratique aussi des styles plus « masculins » comme le Hip Hop. Je n’ai pas à choisir. Je peux tout faire.

Depuis que j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires, je suis enfin débarrassé des harceleurs-types. Ces deux dernières années, je n’ai plus eu à subir autant d’insultes sur mon apparence et mon comportement. Surtout grâce au fait que la puberté a amélioré mon apparence. Mais on a continué à se moquer de mes rêves. J’ai trouvé ma passion numéro un dans la danse et j’ai déjà réussi à me lancer dans une carrière semi-professionnelle. Et en plus de cela, une carrière de mannequin s’est profilée très spontanément. Je suis très fier de ce à quoi je suis parvenu. De prouver que mes détracteurs avaient tort. Mais je n’ai pas encore fini. J’apprends et je grandis toujours dans la danse. Et il reste encore de nombreux objectifs à atteindre.

Pourtant, les détracteurs continuent à me poursuivre. Cette fois, sous un autre angle. Des gens qui prétendent que mon succès ne tient qu’à ma beauté. Je suis bien foutu, c’est pour cela que je trouve facilement du travail. Pourtant, ils ne voient pas les efforts, le travail et le talent que je déploie. Cela me dérangeait ces trois dernières années. Mais en septembre 2018, un déclic s’est produit. Je ne sais pas quoi exactement. Mais je n’en ai plus rien à f... Je me moque de ce que les autres pensent. Si je repense aux harceleurs types de l’école primaire et secondaire, ils vivent la vie (de blancs) la plus élémentaire possible. Je ne les blâme pas, ce n’est tout simplement pas pour moi. Et à tous les détracteurs qui s’en prennent à mon apparence, et bien, tout ce que je peux dire, c’est que je sais tout le travail que cela représente. Je sais ce qu’il m’en coûte. Et ce ne sont que des jaloux.

J’ai toujours essayé de ressembler aux gens qui m’entouraient. Quel con j’ai été ! Enfin, personne n’est con. C’est juste que je n’étais pas à ma place avec eux. Je dois dire que je suis malgré tout devenu fortement allergique aux simples personnes (blanches), à cause de leur manque d’ouverture d’esprit et de leur ignorance. Maintenant, j’ai vraiment trouvé ma tribu. Cela m’a pris 21 ans, mais j’y suis enfin arrivé. Et tout le processus par lequel je suis passé a fait de moi la personne que je suis à présent. Y’a eu pas mal de moments très très noirs, mais je suis content de les avoir surmontés. Ma situation est vraiment heureuse en ce moment et je suis reconnaissant pour tout ce que j’ai.

Merci d’avoir consacré du temps à lire mon histoire et à prendre un peu connaissance de ce que je suis et ce que j’ai vécu.

Patrick

Lorsque vous êtes un homme gay au Cameroun, vous pouvez choisir de cacher votre orientation sexuelle et de vivre une vie arrangée par d'autres personnes ou bien d'accepter qui vous êtes et de vivre votre propre vie. J'ai choisi la deuxième option et cela a été difficile. Les agressions, les blessures et les mauvais traitements étaient réguliers. S’est ajouté à cela, l’annonce de ma séropositivité en 2008.

La perception camerounaise de l'homosexualité est brutale en raison du poids de l'église catholique et de la politique qui aime se concentrer sur l'homosexualité alors que le pays a de plus grands problèmes que cela. Beaucoup de médias présentent les homosexuels comme des personnes déviantes, des prostitués qui ont vendu leur âme au diable et qui doivent être exterminés. L’'homosexualité est souvent considérée comme une exportation de l'occident.

L’article 347 bis-1 du code pénal camerounais punit toute personne ayant un rapport sexuel avec une personne de même sexe d'une amende de 20000 francs cfa (environ 30 euros) à 200000 francs cfa (environ 300 euros) et de 6 mois à 5 ans de prison.

L'offre de médicaments pour traiter le VIH est rare. Les médecins ne prescrivent même pas de médicament tant que vous n'avez pas de symptômes. En d'autres termes, vous n'êtes pas traité même si vous êtes positif et contagieux. Je voulais quitter le Cameroun et demander l'asile en tant que réfugié en Belgique en raison de mon orientation sexuelle. Je devais aussi quitter le Cameroun parce que je voulais un meilleur traitement pour le VIH.

En mars 2014, j'ai quitté le Cameroun avec un visa en provenance de Chine avec pour destination, Beijing. Le vol Cameroun-Pékin a fait escale à Bruxelles. Et c'est comme ça que j'ai réussi à initier une demande d’asile et que je suis resté en Belgique. La procédure a duré 3 semaines et tout s'est bien passé. Venir en Belgique était pour moi un rêve. Maintenant, c'est devenu réalité. Je peux vivre dans un pays où je suis protégé et respecté en tant qu'être humain au lieu d'être discriminé ou poursuivi en justice à cause de qui je suis. Ma santé s'est également améliorée. Je me sens bien car je suis indétectable depuis 3 ans maintenant.

J'ai fait beaucoup de petits boulots et en 2016, j'ai décidé de retourner aux études pour devenir infirmier. Maintenant, j'ai obtenu mon diplôme et commencé à travailler l'année dernière dans une maison de repos.

À 35 ans cette année, je peux dire que je suis reconnaissant pour beaucoup de choses même si ce n'est pas toujours facile pour un Noir qui vit avec le sida à cause de la stigmatisation qui entoure le sida dans la communauté gay, mais je suis sûr que cela ne changera que si les gens en soient bien informés.

L'année dernière, j'ai également lancé un projet d'ONG intitulé "Une humanité pour tous" avec deux de mes amis dans le but de lutter pour les droits des homosexuels en Afrique et des immigrés en Europe et en Belgique.

Radek

Lorsque j'ai déménagé à Bruxelles, je suis immédiatement tombé amoureux de la ville et de sa culture ouverte d’esprit. C'est de loin la ville dans laquelle je me sens le plus bienvenu, plus encore que dans mon propre pays.

Pour un jeune garçon gay venant d'Europe centrale, j'étais fasciné par le niveau de tolérance du public à l'égard de l'homosexualité, ainsi que par la facilité avec laquelle on tisse de nouveaux liens d’amitié.

Ma vie sociale s’est encore davantage enrichie lors de mes sorties dans les bars et les boîtes de nuit. J'ai ensuite pris l'habitude de continuer à faire la fête dans le confort de chez moi, en invitant mes amis et quelques inconnus à participer à des soirées privées. Soyons honnêtes, on y trouve aussi bien du sexe que de la drogue. Participer à ces « afters » - comme on les appelle parfois - devient, ces dernières années, une partie intégrante de la routine pour un certain nombre de gays. Lors de ces fêtes, on peut rencontrer des gens de toutes origines, orientations ou milieux sociaux. Je pense que ce sont des expériences fantastiques pour mieux comprendre les autres, ainsi que pour mieux se comprendre soi-même.

Malheureusement, j'ai également vu bon nombre de mes jeunes amis se livrer à des pratiques sexuelles à risque, et le fait que quelques-uns d'entre eux se soient effondrés suite à des overdoses m'a fait prendre conscience de la gravité du phénomène du « chemsex » dans la communauté gay.

C’est la principale raison pour laquelle j’ai rejoint Exaequo: je souhaitais en apprendre suffisamment sur ces risques majeurs pour la santé pour pouvoir passer le mot au sein de la communauté. Comment gérer par exemple de manière responsable la présence de drogues, savoir parler de la PrEP ou rassurer sur la non-transmissibilité du VIH lorsqu’une personne séropositive est sous traitement et indétectable.

Je pense aussi qu’en plus d’un meilleur partage des informations, un changement de mentalité ainsi qu’un examen de la législation en vigueur en matière de drogues pourraient réduire les nombreux risques pour la santé de la communauté gay. Si les gens faisaient l’effort de moins juger, cela permettrait des discussions moins compliquées sur les pratiques sexuelles, la toxicomanie ou des problèmes liés au couple, ce qui pourrait nous amener à prendre moins de décisions risquées.

Mais cela en soi ne suffirait probablement pas car la politique répressive actuelle de lutte contre la consommation de drogues fait en sorte que les bars et les clubs évitent même de mentionner des produits illicites par crainte de perdre leur licence, laissant la communauté gay relativement seule face à la responsabilité du partage d’expériences sur la consommation de drogues et pour accompagner ceux qui ont besoin d’aide.

Je rêve souvent que l'hypocrisie de nos gouvernements et de nos sociétés concernant le sexe et les drogues cesse. Les tabous moraux et les interdictions sont la cause d’une information publique minimale sur les risques, une résolution des problèmes sous-optimale et, malheureusement, un nombre croissant de décès.

Je pense que ce problème est en réalité beaucoup plus vaste que la communauté LGBTQI: je suis convaincu que les frustrations personnelles et sexuelles sont responsables d'une grande partie de la haine et de la violence dans le monde. Pour remédier à cela, une discussion sans tabous sur les divers aspects de la sexualité humaine pourrait s’avérer utile.

Mon expérience de la vie gay a néanmoins été positive jusqu'à présent et je reste optimiste. Il y a encore tant de choses à accomplir, et la Pride est là pour nous rappeler les luttes constantes pour la reconnaissance, le respect et l’égalité de traitement de tous les membres qui composent notre communauté bigarrée.

Je suis vraiment reconnaissant d’avoir pu avoir, même à petite échelle, un rôle positif pour mes amis, mes rencontres de soirées improvisées ou mes plans d’un soir ; même la plus petite contribution pour l’amélioration de nos vies.

Prendre soin des gens autour de nous est essentiel! Nous avons potentiellement tellement d’amour à donner, je pense que nous ne devrions pas hésiter à le montrer!

Raphaël

Je suis né au Congo en 1987 et j'ai grandi ici en Belgique depuis mes 6 ans en 1993. Je suis issu d'une famille africaine religieuse dans laquelle la sexualité était taboue ou abordée de manière à ce qu'elle soit perçue de manière culpabilisante, négative et sale.

Ce fut très difficile pour moi de me sentir réellement moi-même à cause de notre éducation car nous n'avions pas réellement la liberté de nous exprimer en étant nous-mêmes. Oui, nous avions eu une bonne éducation et étions matériellement aisés mais la façon dont les valeurs nous ont été transmises ont provoqué chez moi des blessures qui en réalité ont cassé ma vraie personnalité et eu un impact sur ma façon de me réaliser en ce monde.

Même si au fond de moi j'étais conscient de ces blessures, j'ai grandi dans le déni pensant que c'était normal et que je méritais cela jusqu'à mes 18 ans où pour la première fois de ma vie j'ai pu faire un choix qui était entièrement mien et non imposé par ma famille. En décidant d'arrêter de me mentir à moi-même en expérimentant mes premières expériences sexuelles, je commençais à vivre pour de vrai. Dès lors, c'est progressivement que des traumatismes refoulés sont remontés à la surface et m'ont fait réaliser qu'il y avait parfois de l'abus physique, psychologique et émotionnel dans ma vie malgré la bonne image extérieure. Le fait de commencer à assumer ma bisexualité coïncide donc avec le fait de sortir du déni sur les dysfonctionnements familiaux.

Les mois qui ont suivi, j'ai dû lutter contre le harcèlement de certains membres de ma famille qui voulaient me "guérir" de mes "attirances contre nature" avec "Dieu" et la "prière". Cela m'a amené à commencer à 19 ans une dépression qui m'a poussé à faire des tentatives de suicide avec des médicaments car je ne savais pas comment me sortir de là: en dehors les gens ne comprenaient pas réellement la complexité de la situation dans laquelle j'étais. Le fait qu'une de mes sœurs découvre l'historique de mon ordinateur et aille le raconter à mes autres frères et sœurs et que je subisse pendant des mois des menaces, du harcèlement, de l'abus psychologique, du chantage affectif jusqu'à la violence physique accompagnée de menaces de mort d'un de mes frères aînés m'a poussé à bout. Ne sachant pas comment me sortir de là, je pensais que la seule issue était la mort (lui-même en me frappant disait même qu'il était mieux que je sois mort plutôt que de vivre en tant que pédé). Je garde toujours un traumatisme de ces différentes formes d'abus familiaux des années après. Recevoir l'aide extérieure dont j'avais besoin pour partir et me reconstruire fut un miracle.

Quitter ma famille était comme quitter une secte. On est conditionné par une façon de ressentir les choses, on a une mauvaise image de soi et du monde autour de nous à cause de ce qu'on nous fait croire. On nous punit et nous fait plus de mal si on ose s'affirmer et nous rebeller contre ce qui n'est normalement pas acceptable et nous détruit psychologiquement. Ce sont les effets que provoquent les abus d'une famille toxique.

J'ai du également demander l'aide de la police et porter plainte contre mon frère aîné qui pendant 20 minutes m'avait tabassé en me menaçant de me tuer parce que j'avais déshonoré la famille avec mes attirances "contre nature" et mes critiques du système familial. Avec le recul, je réalise que quitter ma famille à seulement 20 ans et couper les ponts pour me reconstruire fut l'acte le plus courageux que j'ai pu faire de ma vie. Depuis je suis amené à faire régulièrement des thérapies pour me reconstruire par rapport à ça.

Personnellement, il est hors de question que je reprenne le moindre contact avec ma famille. Ma vie a réellement commencé lorsque j'ai perdu ma virginité à 18 ans et a repris son cours à 20 ans quand je suis parti. A partir de là, j'ai vécu des expériences qui m'ont permis d'être vraiment moi-même sans me mentir, libéré des injonctions toxiques de mon éducation et progressivement libéré de certains conditionnements. La guérison est longue mais possible, j'ai encore du chemin à parcourir.

Je pense qu'il y a des choses difficiles qu'il faut avoir vécu soi-même pour réellement comprendre le cheminement de certaines personnes. J'ai appris cela avec l'expérience car si d'un côté j'ai eu sur mon chemin du soutien, parfois j'ai également eu affaire à du jugement et de la maladresse de personnes extérieures et donc étrangères à ce genre de vécu. Du coup il m'est assez insupportable d'avoir l'avis de personnes qui pensent savoir mieux que moi ce que je ressens vraiment et qui ont des théories à côté de la plaque. Les personnes qui comprennent réellement mon choix de m'assumer complètement en dehors de ma famille toxique sont les personnes qui ont également été prisonnières de relations toxiques et s'en sont sorties. Que les relations soient familiales ou de couple... je crois que les deux sont liés. Pour l'anecdote, j'ai connu pendant cinq ans, entre mes 26 et 31 ans, l'expérience d'une relation de couple toxique avec un individu gentil de prime abord alors qu’il était en fait un pervers narcissique. J'en fais part car c’est une expérience similaire: subir des abus psychologiques voire même physiques et croire que c'est normal jusqu'à ce qu’on sorte finalement du déni après avoir lutté. Certaines blessures familiales nous poursuivent dans la vie: on est parfois conditionné à ne pas assez bien s'affirmer et donc se lier avec des personnes qui nous font du mal émotionnellement et dont on est dépendant affectivement parce qu'on n'a pas travaillé en profondeur sur toutes nos blessures. Après m'être libéré de cette relation, j'ai compris à quel point je devais continuer à prendre soin de moi.

Dans mon parcours je constate que la communauté africaine (noirs évangélistes et arabo-musulmans) est très oppressante avec le poids de la religion. Aux yeux d'autres africains conservateurs il est très mal vu pour un noir d'assumer être queer (gay, lesbienne, bisexuel, transgenre ou autre) en étant opposé aux religions, ce qui fait qu'il est donc difficile de vivre en étant soi-même, d'émettre un avis et de contredire les dogmes religieux sans être mal vu, rejeté, insulté voire même agressé verbalement et physiquement. Il y a des tabous dans nos communautés mêmes qui sont très difficiles à briser. Notamment des tabous sur la sexualité, les abus familiaux qu'ils soient psychologiques, physiques voire même sexuels (je n'ai pas osé aborder dans mon témoignage certaines formes d'abus sexuels dans ma famille car il est encore difficile pour moi d'être clair là-dessus pour en parler autour de moi, cela viendra peut-être avec le temps). J'ai un très mauvais rapport avec les religions monothéistes sur lesquelles la critique est difficile. Pourtant, je reste un individu mystique et spirituel qui croit toujours en Dieu mais je préfère rester libre dans ma façon de concevoir la spiritualité en dehors de toute pression sociale. J'ai choisi le bouddhisme entre temps et préfère m'intéresser à d'autres formes de spiritualité que nos communautés m'ont pourtant appris à voir comme sataniques et profanes alors qu'elles m'apportent plus de liberté et sont plus en phase avec l’identité d'une personne qui sort du cadre hétérosexuel. Cela m'apporte un équilibre.

En Belgique les gens dans ma situation vivent constamment un dilemme. Le fait de vivre dans un pays qui normalement nous apportent plus de liberté pour qu'on puisse s'assumer en tant que personne LGBT+ mais ne pas se sentir vraiment libre car il faut faire face aux pressions communautaires et religieuses d'autres africains. Cela parallèlement aux préjugés racistes envers les personnes de couleur de la part de personnes du pays d'accueil, que ce racisme s'exprime de manière directe et indirecte. J'ai quotidiennement le sentiment d'avoir le cul entre deux chaises. Je n'ai pas honte d'avoir des racines africaines, bien au contraire mais je suis constamment tiraillé entre ma culture d'origine et ma culture européenne. Trouver sa vraie place quand on est noir et queer n'est pas toujours facile.

Si mon parcours est compliqué, il y a des choses positives. Ce que j'en ressors c'est que nos épreuves nous rendent plus fort quand on se relève. J'ai plusieurs fois failli mourir et si le Dieu (quelconque) auquel je crois m'a permis de vivre jusqu'à aujourd'hui, c'est que j'ai une mission. J'ai toujours ressenti le besoin de me servir de mes blessures pour soutenir, aider et inspirer ceux et celles qui passent par la même chose. Nos blessures doivent être transformées en quelque chose de positif pour que d'autres comprennent qu'il y a de très belles choses au bout du tunnel.

Stefan

Je m'appelle Stefan. Certaines personnes m'appellent également Stef ou Stef-Han. Mais je suis né en tant que Han, à Soul, en Corée du Sud, et j'ai rapidement été adopté. J'ai donc grandi dans un petit village flamand avec mes parents belges et ma soeur adoptive, qui est également de Soul.

Aussi longtemps que je me souvienne, ma sœur et moi nous nous sommes distingués, nous avons reçu beaucoup d'attention partout où nous sommes allés. De nos jours, les gens ont du mal à y croire, mais à l'époque, dans ce village mais aussi dans les grandes villes comme Gand où nous allions à l'école, ou dans les villes où nous voyagions avec nos parents, nous nous faisions tellement remarquer que les gens nous montraient du doigt au loin, traversaient la rue pour nous regarder ou nous toucher, ou demandaient même à mes parents de prendre une photo avec nous (avant les smartphones et les médias sociaux). Je me souviens que moi aussi, j'étais très excité à chaque fois que je repérais un autre Asiatique quelque part dans la rue. Mais cela était rare. C’était avant l’essor de l’économie asiatique et le flot de touristes asiatiques dans le monde entier.

À l'école, ma sœur et moi étions les deux seuls enfants parmi 500 enfants qui n'étaient pas blancs. Chaque année, il y avait une semaine de lutte contre le racisme à l'école et on nous traînait de classe en classe pour nous tenir debouts devant une plate-forme et raconter notre histoire. Nous avons été littéralement exposés pour que tous les autres enfants puissent nous regarder…

Ainsi, partout où nous allions, dans les jardins de jeux ou les anniversaires, si nous rencontrions de nouveaux enfants, ils venaient toujours nous voir, nous demander d'où nous venions, si nous voulions y retourner, etc. Je me souviens très bien avoir parlé de moi-même en tant qu'enfant et avoir pris une décision: j'étais différent et les gens allaient toujours être curieux. Je ne pouvais rien y faire mais je pouvais décider comment gérer cette attention. J'ai donc décidé d'accueillir toute l'attention avec une attitude ouverte, de répondre patiemment aux questions des gens, «de porter ma couronne avec fierté». En retour, l'histoire de mon origine était une porte d’entrée pour faire connaissance avec de nouvelles personnes. Les gens étaient heureux de connaître mon histoire et de se sentir liés d'amitié. Je ne me suis jamais fait intimider et je suis même devenu un peu «populaire».

Je me souviens d'un voyage scolaire à Londres à l'âge de 12 ans. Je me souviens d'avoir été choqué et super excité parce que je voyais de nombreux Asiatiques, Noirs et Sikhs dans les rues et même au travail dans les magasins, les musées et les restaurants. C'était la première fois que je pensais pouvoir être ordinaire, invisible. Je me souviens avoir pensé: «C’est ainsi que tous les autres enfants doivent marcher dans la rue.» Être soi-même sans aucune conscience de soi. C'était tellement libérateur.

Quand j’ai fait mon coming out à 17 ans, je suis entré dans une organisation de jeunes homosexuels. Bien sûr, j'étais le seul asiatique, mais je me souviens m'être senti apprécié pour mon apparence. Etre asiatique n'était pas un problème. Je me suis même senti désirable.

Peu de temps après, j'ai rencontré mon premier petit ami de longue date. Au cours de cette relation, tout ce qui se passait sur les applications, sur les réseaux sociaux et les sites de rencontres sur Internet m’était inconnu. Et quand nous nous sommes séparés, le monde est réellement devenu un endroit différent.

Les Asiatiques sont partout maintenant, principalement en tant que touristes ou dans les restaurants asiatiques, mais aussi dans les rues, dans les gymnases et dans les clubs. Le culte du corps masculin et Internet ont influencé et changé la notion de ce à quoi devrait ressembler un homme (gay). L’homme idéal (gay) est maintenant musclé, grand, soit super lisse, soit vraiment velu, mais surtout caucasien. Blanc. Heureusement, au fil du temps, d’autres types (corporels) ont rejoint le spectre gay, tels que les ours ou les loutres. Mais le spectre arc-en-ciel reste essentiellement blanc.

Les stéréotypes ou les modèles sont étranges. Ils peuvent parfois tourner à votre avantage. Sur le lieu de travail, par exemple, les employeurs aiment les Asiatiques parce qu’ils sont associés à une persévérance inlassable et à un dévouement fiable. Une perception qui m'a aidé au cours de ma carrière, mais en réalité, je ne corresponds pas à l'archétype. En tant qu'amis ou partenaires, les Asiatiques sont dignes de confiance, attentionnés et soumis. Maintenant, je ne dis pas que je suis l’inverse, mais j’ai tendance à être plutôt aventureux, déterminé et exigeant. Enfin, dans la culture gay, les Asiatiques sont soit le nerd, le geek, soit (plus souvent) bruyant et “drama-twink”. Honnêtement, j'ai essayé les deux, mais j'ai trouvé épuisant d'essayer de s'intégrer.

Il n'a donc pas été facile de trouver ma place, ni en tant qu'homme asiatique dans la société, ni en tant qu'asiatique gay dans une sous-culture gay. La réalité est plus diversifiée que ce que les médias et Internet nous montrent. Nous avons désespérément besoin de plus de diversité dans nos modèles, asiatiques ou non, homosexuels et hétérosexuels.

Tanguy

Je n'ai pas vu ma famille depuis plus de 10 ans. C'est une famille conservatrice et folle où j'ai toujours été considéré comme le méchant et le sac à misère de ma mère. Mon grand-père a été impliqué dans un scandale politique dans les années 70. Durant cette période, il a secrètement accumulé de grandes richesses, mais a finalement été arrêté et condamné à une peine de prison. Mon père a aussi fait son temps avant ma naissance. Donc au début, la famille était déjà foutue.

Quand tu es enfant, tu ne comprends pas beaucoup pourquoi les choses se déroulent ainsi. Personnellement je n'ai compris qu'après avoir grandi et suivi des thérapies. Enfant, tu as tellement confiance en tes parents qu’il est presque impossible de s’échapper car il n’y a pas d’autre choix. Ma famille était très conservatrice. Ma mère est restée à la maison et mon père est allé travailler. Par conséquent, il était à peine présent. Il était toujours avec d'autres femmes et nous a finalement quitté.

Je soupçonne que ma mère ne voulait pas de moi. Elle est certainement tombée enceinte pendant la période des relations extra conjugales de mon père, ce qui a affecté son amour pour moi. C'était le genre de femme à l'esprit étroit qui voulait se marier avec une famille riche où la femme n'avait pas besoin de travailler. Ils se sont mariés seulement 3 mois après leur première rencontre. Même si elle était malheureuse, elle n'a pas quitté mon père. Par conséquent, je suis devenu l'exutoire de ses frustrations.

Elle m'a traité très mal et m'a maltraité émotionnellement. Tout ce que j'ai fait n'était pas bon. Je me souviens d'un jour en vacances, je suis tombé à la piscine. Je saignais. Au lieu de m'aider, elle a commencé à me frapper parce que j'étais stupide de me faire mal. À la maison, elle disait toujours des choses comme: «Je ne peux plus supporter cet enfant» Elle a trouvé le moyen de me rabaisser tout le temps. Je me sentais frustré, pas soutenu, pas aimé, dans cette famille. Il n'y avait pas de place pour moi.

À 18 ans, j'ai pu aller étudier au Royaume-Uni. Ce fut un grand soulagement pour moi car cela devenait insupportable à la maison. De plus, au cours de cette période, ma mère a découvert que j'étais gay. Elle l’a découvert en “nettoyant” ma chambre et a vu les prospectus contenant du contenu gay que j'avais rapportés. Elle ne me l'a pas dit après l'avoir découvert, mais elle l'a dit à tous les membres de la famille. Je l’ai seulement su via une autre personne. Un an plus tard, elle est venue au Royaume-Uni pour me rendre visite et m'a dit qu'être gay était un mauvais choix.

Cependant, mon corps a commencé à réagir au stress intense. J'ai d'abord développé des problèmes de sommeil, puis des troubles de l'alimentation. Je dépendais de la nourriture liquide et je devais me forcer à manger. Pour ma famille, j’essayais de me rendre spécial et intéressant. J'étais impuissant. Mon corps et mon esprit étaient malades. Je ne voyais aucune issue. Parfois, je voulais juste me jeter sous une voiture dans la rue ou sauter par la fenêtre de ma chambre.

Jusqu'au jour où je suis finalement allé à l'hôpital sans rien dire à personne. Là, j'ai reçu de l'aide et accédé à des thérapies qui m'ont fait comprendre le problème. J'ai décidé de couper le lien avec ma famille. 10 ans ont passé. Je récupère et je me reconstruis. C'est la meilleure décision que j'ai prise.

Tristan

Adolescent, je vivais avec mon père, ma belle-mère et mes sœurs à Bruxelles. Mes parents étaient séparés et pendant des années, comme pour beaucoup d’enfants, cette situation fut difficile à accepter ; en particulier parce que mon homosexualité latente rendait mes relations avec mon père de plus en plus compliquées, et aussi avec les autres. Garçon très sensible et timide, je devais affronter ma différence et le regard des autres à l’école. Personne n’était au courant mais mes camarades avaient des doutes et par moment, on me lançait des injures comme « sale pd » ou « tapette ».

Je ne voyais pas beaucoup ma mère. Elle vivait ailleurs ; et quand je la voyais, je devais faire face à un autre problème : son extrême dépendance à l’alcool et les comportements qui peuvent s’en suivre.

Bref, le jour de mes 17 ans, en pleine nuit et après un ultime affrontement avec mon père, j’ai fui le domicile. Un ami, gay lui aussi, que j’avais rencontré deux ans plus tôt, était venu me chercher en voiture. Je partais sans rien et sans argent, laissant derrière moi mon adolescence.

Pour en arriver là, j’avais d’abord dû affronter mon père. Il n’était pas injuste et sa sévérité fut utile mais il était fort peu ouvert à la conversation et je sentais bien que je n’étais plus toléré : mon mode de vie n’étant plus acceptable pour lui. Quand j’ai avoué mon homosexualité, mon père m’a dit : « il n’y a pas assez de filles sur Terre ? ». Que répondre ? J’avais compris : la tolérance n’était pas de mise. D’ailleurs, à la maison, les préjugés étaient monnaie courante. Un jour, j’ai montré un film mettant en scène des transformistes à mon père et à ma belle-mère. Cette dernière m’a regardé et elle m’a dit : « tu vas devenir travesti ? ». En fait, ils étaient conformistes et bien qu’a priori cela ne soit pas « mal », cela se traduit dans la réalité par des remarques et des clichés difficiles à encaisser pour un jeune homme en pleine recherche de lui-même. Cela engendre de l’incompréhension.

Par conséquent, jusqu’au jour de la fuite, je me cachais, un peu de moi-même, surtout des autres et je mentais, beaucoup. Heureusement, j’avais une grande passion naissante : l’art. J’aime dessiner et peindre. Je dessinais et peu à peu et je trouvais ma voie dans ce domaine.

C’était le seul endroit où je me sentais en confiance et le domaine dans lequel j’étais à l’aise. J’oubliais les problèmes et tirais ma force de ceux-ci pour créer. Pour le reste, la tête sortie de mes dessins, je restais assez renfermé et le doute m’habitait.

À cette époque, malgré mes problèmes (et les siens), ma mère avait été plus accueillante et, par amour, elle a accepté mon homosexualité. On peut dire qu’elle m’a aidé à m’assumer et à m’ouvrir au monde. Elle était un soutien et avec elle, la liberté était au moins au rendez-vous.

J’ai commencé à fréquenter la communauté LGBTQI dès l’âge de 16 ans parce que je ressentais le besoin de rencontrer d’autres gays. Pour y accéder, je prenais le tram dans l’autre sens ; au lieu d’aller à mes cours de musique, je me rendais dans le milieu à Bruxelles, avec 5 euros en poche. Une nouvelle fois, je me cachais d’une certaine façon.

J’étais effrayé au début mais je m’y sentais quand même mieux qu’à la maison, même si, là aussi, s’intégrer s’est avéré être un challenge. La communauté est diversifiée : trouver sa place était donc un cap à passer aussi. Qui plus est, les mecs gays entre eux, peuvent parfois faire preuve d’intolérance… En revanche, fréquenter la communauté me donnait envie de renvoyer une image plus agréable aux autres, ce qui était positif.

Après la fuite, les choses ont évolué car j’étais plus libre de mes choix : j’étais meilleur à l’école, en section d’arts plastiques, domaine de prédilection pour moi. J’y ai développé ma sensibilité, exacerbée depuis toujours.

Pendant ce temps, j’entreprenais des démarches pour être émancipé et éviter de devoir retourner chez mon père. À 18 ans, j’abandonnais les démarches, devenues de toute manière obsolète vu ma majorité. Je ne l’ai plus jamais revu, ainsi que ma famille paternelle.

Progressivement, les obstacles devenaient des challenges et le garçon qui venait de nulle part, certes aidé aussi par des rencontres formidables, entrait à l’université. Je revenais donc vivre à Bruxelles. Pendant les 5 ans d’études en histoire de l’art, j’ai trouvé des personnes plus ouvertes et un lieu d’expression. La communauté gay est devenue un peu une obsession. Ensuite, la réussite, la beauté, l’esthétique, le sexe, la mode, l’art m’obsédaient (encore aujourd’hui - rires). Par ailleurs, j’ai travaillé sur un artiste présumé homosexuel à l’ULB pour mon mémoire et plus généralement sur l’homosexualité dans la société victorienne. C’était un sujet inédit.

L’idée d’aborder la sexualité à l’ULB est aussi une manière d’extérioriser des sentiments que je ressens et de sortir du placard des sujets longtemps effacés. J’ai remarqué l’importance du sexe chez les gays, dans la réalité ou dans l’image que l’on s’en fait. J’en ai déjà fait les frais. Je reconnais d’ailleurs la place omniprésente du sexe dans ma vie, et de ses dérives...

Aujourd’hui, je travaille dans différents milieux : artistique, entrepreneurial et politique. L’homosexualité n’est pas un tabou mais ce n’est pas non plus un sujet quotidien. En fonction du domaine, on peut être l’un ou un autre, être plus libéré ou non...Pourtant, j’assume entièrement ma sexualité aujourd’hui, la mettant même en évidence et poursuivant mes recherches sur l’art abstrait et l’esthétique. C’est devenu un style de vie dans lequel je me sens bien.

Ce que je retiens de mes expériences, surtout les plus difficiles, est que cela m’a donné envie de me surpasser en tant qu’individu. Le fait d’être gay m’a beaucoup aidé finalement dans mon développement dans la mesure où je suis sorti directement, de fait, des schémas conformistes. Le conflit familial, les insultes, les rejets, les sentiments complexes que j’ai pu avoir m’ont renforcé et donné envie d’aller toujours loin.

Je suis sensible de naissance mais je me suis battu pour vivre cette sexualité, mon art et ma vie comme un tout.

Yannick

Je m’appelle Yannick, j'ai 25 ans. Je viens d'une petite ville wallonne et je me suis installé à Bruxelles durant l'été 2012. J'ai toujours pensé que j'avais des problèmes de communication. Entre temps, j’ai obtenu mon master en communication spécialisé en animation socioculturelle. J’ai réalisé que ces “problèmes de communication” m’avaient été imposé par des adultes qui EUX ont toujours des soucis de communication.

J'ai toujours été un gars jovial, toujours souriant. Et pourtant, il y a toujours eu cette espèce de boule noire dans mon esprit et dans mon cœur. Je souffre de dépression depuis mon arrivée à Bruxelles, probablement à cause des nombreux changements soudains et du suicide de mon ex-petit ami. Une accumulation de négativité et de malchances qui m'ont finalement brisé un peu, voire beaucoup.

En comparaison avec la campagne belge, la grande ville est terriblement différente. Le bruit, les rues super animées, même les gens. Je me suis perdu dans tout ça. Certains jours, je dois me forcer pour tout, manger, sortir, me lever, parler… Chaque petite action consomme énormément d'énergie. Tout est gris, tout est trop bruyant et je n’arrive même pas à sourire. D'autres jours, tout va bien, comme si rien de négatif n’était jamais arrivé. Les gens ne réalisent d’ailleurs pas que je ne vais pas bien. Et puis soudainement, encore, plus envie de quoi que ce soit. C’est difficile d'expliquer ces sautes d'humeur ou d'entendre les gens minimiser ce que je ressens parce que ce n'est pas visible.

La dépression, pour moi, c’est une sorte de casque sur la tête. Tu ne peux pas vraiment accéder à ton cerveau, tu subis un nombre limité d'états clairement divisés, comme une profonde tristesse, un bonheur soudain et bref, puis un état dans lequel tu ne ressens plus rien… absolument rien.

Je ne sais pas quelle est la pire partie de cette maladie : lorsque tu ne sens plus rien, plus même l'amour, ou les sautes d'humeur, ou le sentiment de culpabilité, ou la blessure qu’on ressent parce que tu blesses ceux que tu aimes ? Ou peut-être cette petite voix qui te dit qu'il existe un raccourci à toutes ces souffrances…

Pourtant, j'ai découvert il n'y a pas si longtemps que je n'étais pas seul. De nombreuses personnes ont vécu ou vivent actuellement une dépression ou des problèmes similaires. Et je viens de comprendre que le fait d'en parler était extrêmement important, pour nous et les autres. C'est important parce que nous ne sommes pas seuls. C'est important parce que ce n'est pas notre faute. Et il existe des solutions positives pour tous, à condition de comprendre et d'accepter notre problème ... et d'accepter le fait que nous pourrions avoir besoin d'aide.

Je veux me sentir mieux, vraiment. Et je vais mieux. Je fais un gros travail pour comprendre ce que je ressens. Comprendre les mécanismes qui ont lieu avant la panne. Ce qui me permet de construire d'autres mécanismes pour contrecarrer les autres. D'une certaine manière, c'est une opportunité incroyable de mieux se connaître.

J'ai maintenant 25 ans et je sais déjà ce qui me rend heureux, plus profondément qu'un cheeseburger, je veux dire. Je sais ce qui me fait me sentir en paix, ce qui me donne de l'énergie. Je suis à peu près sûr que mon développement personnel me permettra d'éviter une crise existentielle plus difficile à l'avenir.

Je suis en train de créer ma propre entreprise pour aider les personnes confrontées aux mêmes problèmes. Je veux aussi que cela les aide à comprendre l’importance de la nature dans nos vies et à renouer avec elle. J'ai donc décidé de construire une bulle de calme et d'air frais au milieu de la nature, où les gens pourront s'évader du rythme infernal de la ville et de leur vie. Une petite maison où il n'y aura pas d'écran ni d'ondes électromagnétiques. Un endroit pour se déconnecter… et se reconnecter : The Natural Reset.

J'ai également commencé à rédiger mon mémoire avant mon diplôme. Je voulais travailler sur quelque chose qui me concerne directement et qui pourrait être utile à d’autres personnes. Je mène des recherches sur la perception de la masculinité par les homosexuels et sur la manière dont les réseaux sociaux pourraient aider à déconstruire la vision hégémonique de celle-ci. Le but est de combattre ce qui s'appelle maintenant la follophobie, les réactions négatives contre les hommes agissant « de manière féminine ». La masculinité est une construction sociale qui inclut une mauvaise vision de la femme et du genre féminin. La communauté gay n'y a pas échappé.